Zaïre, 1997: introduction au livre
Caché par une végétation exubérante et touffue, je tente avec mes jumelles de repérer les positions ennemies. Si elle ne m’apparaissent pas clairement, je pense rassurant que nos adversaires ont probablement le même problème. Nous tenons chacun une rive du fleuve et notre mission consiste à empêcher un franchissement, rendu possible par ce pont qu’il nous faut garder. Mon arrivée est saluée par une salve d’obus de mortier qui ne tombent qu’à peu de distance. Ne voulant pas être en reste, Fabien, qui déploie une énergie communicative, fourbit ses mortiers et expédie à l’adversaire une volée de «pélots1». Et ce, sans jamais oublier de capuchonner son tube après l’envoi de chaque obus, de manière à masquer la fumée qui s’en dégage et ainsi, d’éviter de signaler sa position.
Franck, qui veut être de la fête, lâche sporadiquement des rafales avec sa MG42 et nous tirons une quarantaine d’obus de mortiers. L’ennemi nous rend la politesse à peu près à la même cadence. Nous combattons à faible distance, la forêt, très dense en ces lieux nous cache l’ennemi ; c’est un combat à l’aveugle. Seuls les coups de départ qui s’entendent fort bien, nous indiquent qu’un obus va s’écraser à proximité de nous dans quelques secondes. C’est, alors, l’attente du point d’impact. Mon étoile veille-t-elle toujours ? Dans ces moments angoissants, j’essaye d’offrir la plus petite cible possible, alors que Fabien reste à genoux, arguant que l’on ne peut rien contre sa destinée. J’admire son courage mais je trouve cela très con ! Surtout que, par instants, quelques éclats sifflent à nos oreilles. Un parachutiste zaïrois à mes côtés est complètement statufié, les yeux fixes, la peur le rend complètement inapte à prendre une mesure de combat quelconque.
Peu avant la nuit, Martin et son équipe sont en poste près de la rivière, au même endroit depuis quelques heures. Soudain, Martin décide de changer d’emplacement. Stratégie ou intuition? Grand bien lui fait car, peu après, un obus éclate exactement à l’emplacement qu’il vient de quitter. Martin a de la chance, et cela depuis fort longtemps ! De la Rhodésie aux Comores, en passant par l’Afrique francophone, et d’autres périodes troubles, il s’en est toujours sorti honorablement. Ce personnage a toute ma sympathie.
La nuit venue, les tirs s’espacent et deviennent intermittents, si bien qu’écroulé au pied d’un arbre, je parviens à m’assoupir quelques instants. Mon sommeil est fractionné ; il est troublé par des rafales du fusil mitrailleur de Franck qui surveille le pont et stoppe, semble-t-il, des tentatives de franchissement.
Dans des moments d’accalmie, mes pensées vagabondent … «Bordel, comment suis-je arrivé ici ? Quel chemin tortueux ai-je pu prendre ?». Mon esprit s’éclaire et une réponse s’impose: «C’est la faute à Bayonne» … et non pas à Voltaire.