
Avoir vingt ans à Fort Lamy.
Se pencher sur son passé est certes un signe de mélancolie, mais nécessaire parfois pour affronter les difficultés de la vie. Qui n’a pas de passé n’a pas d’avenir. De raviver des souvenirs heureux, de ressentir les doux regrets d’un temps révolu, est signe que le temps passe. Cette langueur propre aux rêveurs a déclenché dans mon inconscient un souvenir particulier. Celui où j’ai atteint l’âge mémorable de vingt ans. Cette frontière nous propulse dans l’âge adulte mâtiné de l’insouciance et de la folie qui précède l’abandon de l’adolescence.
Nos sociétés consuméristes pervertissant notre jeunesse par l’abondance de plaisirs, ne participent aucunement à forger un mental d’acier à celle-ci. Cédant à la facilité, nos jeunes de vingt ans ne possèdent pas la maturité de jeunes vivant en pays en guerre où règne l’anarchie et la mort.
Pour ma part, j’ai franchi ce cap à Fort Lamy au Tchad. J’appartenais alors à la troisième compagnie du troisième Rpima. Répondant à la demande pressante du président Tombalbaye, notre chef de l’état de l’époque, le général de Gaulle avait généreusement envoyé ma compagnie en renfort de la sixième Cpima. Probablement avait-il reçu l’assurance de la valeur de ma compagnie, fleuron du régiment. Certains esprits chagrins trouveront à redire, arguant que seule la chance était à l’origine de ce choix. Je confesse la justesse du propos. Nous étions en alerte guépard et seul le hasard a voulu que mon anniversaire soit célébré à Fort Lamy.
Donc ce 28 aout 1968, je décidais de marquer d’une pierre blanche ce jour si particulier. J’étais présent sur le sol tchadien depuis quelques jours, donc peu acclimaté à cette chaleur poisseuse. J’avais néanmoins opté pour une visite de courtoisie à une autochtone du village voisin de Farcha. N’ayant pas encore noué de relations amicales avec la gente féminine du cru, je dus user d’expédients. Le soldat de passage est souvent confronté à la brièveté des rapports tarifés. N’attendez pas de ma part, des descriptions détaillées. Cet exercice glauque se déroula dans une case peu éclairée peu propice à l’intronisation à la sensualité africaine.
Considérant que franchir ce cap de vingt ans se devait festif pour être complet, je dus rendre à Bacchus l’hommage qui lui revenait. Ne buvant à l’époque que de la limonade, j’avais pour l’alcool peu d’appétence et de fait peu de résistance. Une bonne bière Gala ou peut être deux participèrent grandement à mon euphorie. Je clôturais cette soirée mémorable en titubant, pour m’écrouler sur le lit d’un camarade en traversant sa moustiquaire rendant celle-ci inopérante. Ce brave garçon me fit des remontrances de convenance, comprenant qu’un jeune caporal fêtant ses vingt ans avait droit à quelques excès.