
Avoir 20 ans au Tibesti.
Au mois d’octobre 1968, ma compagnie, relevait la Cpima déployée à Bardaï dans le nord du Tchad, proche de la frontière Libyenne. Environ 1500 kilomètres séparaient Bardaï de Fort-Lamy. Le voyage en Nord-Atlas n’était guère confortable mais n’obérait en rien notre soif de découverte de cette terre lointaine. Une halte à Largeau permit à nos membres engourdis de se réveiller. Cet arrêt imprévu causé par un ennui mécanique fût notre premier contact avec ce grand désert. Ce fût pour moi l’occasion de discuter brièvement avec un officier méhariste. Cet homme, vestige des grandes heures des aventures sahariennes ravivait en moi, mes lectures de jeunesse. L’escadron blanc et le chef à l’étoile d’argent, magnifiaient l’abnégation et la solitude des chefs méharistes lancés à la poursuite des rezzous.
L’oasis de Bardaï désertée de ses habitants était un lieu grandiose et intimidant. Des cases isolées, quelques bâtiments en dur, un pénitencier avec ses bagnards en tenue rayée. Un décor minéral formé de pitons rocheux était l’archétype du lieu inhospitalier. Le silence qui régnait en maître, était parfois troublé par les sautes d’humeur d’un vent porteur de moiteur. Si on laisse son esprit vagabonder, on se laisse envahir par le désert, lieu propice aux recueillement et à la prière. Ce dénuement du physique et de l’âme nous plonge dans un univers onirique . Si l’on ajoute la chaleur étouffante de la journée, qui n’a d’égale que la froideur de la nuit, et l’omniprésence du sable invasif qui se faufile dans nos gamelles, dans nos verres, dans nos vêtements, on peut ajouter à ces légers désagréments, les mouches qui s’incrustent aux narines et aux commissures des lèvres. On peut considérer que cette première approche avait valeur de test. On aime ou on aime pas. Mais on ne sort pas indemne de cette confrontation avec l’immensité désertique symbole de l’inanité des efforts humains.
Lorsque les ténèbres prenaient possession des lieux venait l’heure du coucher. Une dernière inspection s’imposait. Nous devions par précaution inspecter nos duvets et nos lits Picot afin de s’assurer de l’absence d’animaux indésirables : scorpions et tarentules. Ces précautions s’imposaient d’autant plus, lorsque nous dormions à même le sol dans les emplacements de garde. Mes souvenirs se chevauchent, une nourriture distribuée chichement hormis des citrons verts à profusion pour lutter contre le scorbut. Des veilles interminables sur des pitons écrasés par un soleil impitoyable, des ouvertures de pistes avant que le jour ne se lève. Mais aussi, la fraternité humaine, les camarades, le clan, la famille. Je me remémore un incident porteur d’adrénaline. Une nuit où j’effectuais une ronde, je constatais l’absence d’une sentinelle. Immédiatement sur mes gardes, j’assurais ma prise sur ma Mat 49 et parti à sa recherche. La lune partiellement voilée entretenait une ambiance mystérieuse. Mes recherches furent fructueuses car je découvris la sentinelle sous la tente qui abritait les cuisines. Après l’avoir copieusement engueulé, je le renvoyais remplir sa mission de surveillance. Voilà un tout petit aperçu du quotidien d’un veilleur du désert.
Je devrais sous peu avoir l’occasion de questionner mon vieux pote Hervé Piris, qui a combattu au Tchad. A‑t-il comme moi subi la fascination du désert saharien ?