
Embuscade à Almoustarat.
Je suis parvenu à un âge où le passé occupe la majeure partie de mon existence. Si l’avenir, de fait est réduit à portion congrue, le présent consiste à se colleter avec ses souvenirs. Certains sont violents, mais adoucis par la patine du temps, sont empreints d’une douce nostalgie.
Une aventure dissimulée parmi mes souvenirs, frappe à la porte de ma mémoire.
Janvier 1992
C’est le désert malien, la vallée du Tilemsi dans le massif de l’Adrar des Ifoghas, exactement à Aguél’hoc où coincés depuis plusieurs jours, nous attendons le bon vouloir des autorités. La rébellion touareg nous joue un tour à sa façon. Ces tamacheks se sont mis en tête de revendiquer un territoire qui chevauche les frontières algériennes, maliennes, nigériennes. De rébellion au banditisme il n’y a qu’un pas que ces hommes bleus ont franchi allègrement. L’autorité malienne, en la personne du capitaine Sangaré, nous conseille d’attendre un convoi militaire. Celui-ci serait plus amène de nous acheminer à Gao en toute sécurité. Mais telle l’arlésienne sa venue reste hypothétique. A mon imitation des camarades piaffent d’impatience et désirent anticiper sa venue. Après concertation nous décidons de recruter un guide local, capable de déjouer les embûches susceptibles d’entraver notre marche. Pour forcer le blocus, il nous faudra franchir les 485 kilomètres qui nous séparent de Gao. A l’impossible nul n’est tenu. Mais à cœur vaillant rien d’impossible. Nous avons opté pour un départ matinal en toute discrétion. Notre convoi constitué de six voitures Peugeot et Passat s’ébranle et prend la piste. A l’instant ultime du départ, un motard autrichien décide de se joindre à nous.
Notre guide, en homme soucieux du bien être de ses clients, nous propose un trajet hors du chemin traditionnel. Si rouler hors piste avec des voitures de tourisme n’est pas une sinécure, cela permettra peut être d’échapper à d’éventuels empêcheurs de tourner en rond. Nous sommes maintenant sur une piste très roulante, le soleil timide n’est pas agressif et les Touaregs vindicatifs absents du paysage. Le sable du Markouba ralentit notre avance mais n’entame en rien notre détermination. Si quelques ensablages nous causent des soucis, la vue des gazelles qui gambadent réjouie les âmes.
Nous stoppons dans un petit village où nous recueillons les équipages de deux voitures immatriculées en France. Attaqués et dépouillés par les rebelles, ils ne possèdent plus rien. Dans ces rudes contrées, l’entraide n’est pas un vain mot. Nous leur fournissons vivres et carburant et nous reprenons la piste.
En soirée nous faisons halte pour nous restaurer dans un village du nom de Almoustarat. Comme de coutume une nuée d’enfants nous entoure, guettant et quémandant une obole toujours possible. Sur la lunette arrière de ma voiture, une baguette de pain s’alanguissait. Innocemment je l’offre au gamin le plus proche. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions, mon geste altruiste se transforme en catastrophe. Une bagarre générale s’ensuit, les plus grands frappent les petits et le pain convoité s’éparpille en menus morceaux. Une fois encore la force injuste a triomphé du dialogue. Mes camarades me hèlent et m’invitent à reprendre la route car la distance parcourue est certes conséquente, mais le plus dur reste à faire.
La nuit tombe et notre guide n’affiche pas la sérénité propre à nous rassurer. Il donne ses directives sur la conduite à tenir pour rouler de nuit. D’ordinaire , il est fortement déconseillé de rouler de nuit dans le désert, mais les circonstances nous obligent à prendre des risques. Cette pause pour reprendre des forces, d’une heure environ, a des conséquences inattendues mais pourtant prévisibles. Nous reprenons la route pour Gao, mais dix kilomètres plus loin je perçois une détonation qui ressemble à un éclatement de pneus. Je ne m’inquiète pas outre mesure, mais d’autres détonations et surtout les lueurs qui fleurissent devant moi, m’indiquent que nous tombons dans une embuscade. Ce sont des tirs d’armes à feu.
Nous avions décidé, avant le départ, d’une stratégie commune. Si nous tombions dans un traquenard tendu par les rebelles, notre tactique consiste à s’éparpiller et accélérer le plus possible. Cela en espérant que si l’un d’entre nous tombe aux mains d’agresseurs, ceux-ci se contenteraient de cette prise. Mais nous n’avions pas prévu une attaque pédestre, ce qui semble être le cas.
La suite, bientôt….