Le pont de la rivière Kibali (suite)
De retour à la mission catholique je reprends le poste qui m’avait été assigné, derrière un mortier. La nuit venue avec André et Carlson qui nous a rejoint nous restons éveillés aidé en cela par le fracas des explosions et des tirs d’armes automatiques qui résonnent dans le lointain. Il semble que le pont soit la cible d’attaques mais nos forces résistent et empêchent tout franchissement. Le jour se lève enfin nous délivrant de l’incertitude de l’obscurité. Les nouvelles n’incitent pas à un optimisme démesuré, car l’offensive ennemie parait d’envergure et notre combat d’arrière garde apparait dérisoire. Néanmoins nous obéissons aux ordres en creusant des tranchés afin de renforcer nos positions défensives. Nous savons que nos maigres effectifs nous ôtent l’espoir que celles-ci soient décisives.
Les heures qui défilent marquent l’attentisme que nous impose l’absence d’ordres clairs de l’état-major de Kisangani. Si les combats au pont sont devenus sporadiques c’est sans doute causé par un regroupement des forces adverses. En cours de matinée nous accueillons des blessés qui sont transférés à l’arrière assez rapidement afin de ne pas saper le moral de nos hommes. En début d’après midi l’ordre m’est donné de rejoindre le pont afin de relever Stéphane. Mon arrivée est saluée de manière festive par une volée d’obus envoyée généreusement par l’ennemi. J’ignorai être si populaire et suis flatté de cette débauche d’explosion saluant mon arrivée.
Je rejoins Fabien qui est le patron des mortiers. Il dirige de main de maître notre position grâce à son savoir faire et une autorité naturelle. Sur ses conseils je rends visite à d’autres camarades positionnés de part et d’autre du pont. Franck est à la manœuvre, il est le tireur du fusil mitrailleur et manie avec maestria la MG42. Martin quant à lui est le mentor d’un groupe de voltigeurs dont le rôle est de renforcer un secteur en danger. Ma fonction de seconder Fabien est bientôt sollicitée car nous subissons une salve d’obus qui s’écrasent à faible distance. Nous ne restons pas inactifs car nous rendons coups pour coups. C’est un moment riche d’émotion car l’attente qui sépare le coup de départ qui est audible avec l’explosion de l’arrivée est d’une intensité telle que tous nos sens sont exacerbés. Il faut garder à l’esprit que nous combattons à faible distance sans voir l’adversaire caché par une végétation exubérante. Sans dire que ça tombe comme à Gravelotte, à chaque obus reçu je m’efforce de présenter une portion de mon anatomie la plus petite possible. Fabien m’étonne par son impassibilité car sous le feu il reste un genou en terre arguant que le destin est écrit et qu’il est vain de vouloir le changer.
La nuit nous surprend et nous plonge dans l’obscurité. Nous en profitons pour grappiller quelques instants de repos. Adossé à un arbre je sombre en un sommeil haché car perturbé par les rafales du FM de Franck, celui-ci surveille le pont et stoppe toutes velléités de franchissement.
Au petit matin les hostilités reprennent et l’échange de bons procédés retrouve de la vigueur. Les tirs de mortiers entretiennent une cadence non négligeable et l’un deux tombe sur une position occupée peu de temps auparavant par Martin et son équipe, échappant ainsi à une mort certaine. Cette situation ne saurait durer car nous risquons à terme l’encerclement. A onze heures Marc qui nous a rejoint apporte l’ordre de repli en direction du sud.
À bientôt la suite.
Et depuis fin 2020, vous pouvez lire un extrait de mon dernier roman qui parle de ce pont, ainsi que la présentation du roman en vidéo.